Immunothérapie et biomarqueurs prédictifs d’efficacité en oncologie mammaire et gynécologique

L'immunothérapie a récemment émergé comme une avancée majeure dans le traitement des cancers du sein et gynécologiques. Les agents approuvés aujourd’hui sont des inhibiteurs de checkpoints immunitaires (ICI). Ces anticorps monoclonaux ciblant PD1 ou PD-L1 agissent en levant l’inhibition de l’immunité anti-tumorale. Ces traitements, pour la plupart utilisés en association avec d’autres anticancéreux et en maintenance, peuvent entrainer des effets indésirables spécifiques (auto-immunité) et majorent nettement les couts de prise en charge. Ainsi l’identification des patientes les plus à même de bénéficier du traitement est un enjeu crucial. Différents biomarqueurs plus ou moins complexes et / ou disponibles ont été étudiés : lymphocytes infiltrants les tumeurs, expression de PD1 ou PD-L1 en immunohistochimie souvent représentée par le score CPS (Combined Positive Score, nombre de cellules marquées par le PD-L1 divisé par le nombre total de cellules tumorales viables, multiplié par 100), charge mutationnelle et instabilité des microsatellites notamment. L’objectif de cet article est de synthétiser les immunothérapies disponibles  aujourd’hui en France en oncologie mammaire et gynécologique et les biomarqueurs nécessaires à leur prescription en pratique clinique.

 

Cancers du sein

Après plusieurs faux espoirs, l’immunothérapie a finalement trouvé sa place en oncologie mammaire pour les patientes atteintes de cancer du sein triple négatif. Le pembrolizumab (anti PD1) a été approuvé en 1ère ligne métastatique sur la base des résultats de l’étude KEYNOTE-355 ayant évalué 847 patientes traitées par chimiothérapie + pembrolizumab ou placebo(1). Cette étude a retrouvé un bénéfice en survie sans progression (SSP) et en survie globale (SG) restreint à la population de patientes avec une tumeur ayant un score CPS ≥ 10 ce qui a conditionné l’AMM dans cette indication.

En situation localisée, toujours pour les cancers du sein triple négatifs, l’étude KEYNOTE-522 a inclus 1174 patientes dans 21 pays et démontré l’intérêt de l’ajout du pembrolizumab à la chimiothérapie néoadjuvante, suivi de 6 mois de maintenance en adjuvant, en termes de réponse histologique complète (+ 13%) et de survie sans évènement, quel que soit le statut PD-L1(2).

 

Cancer du col

Le rationnel biologique était fort pour l’utilisation de l’immunothérapie dans un cancer viro-induit comme le cancer du col de l’utérus, qui dans la majorité des cas présente une expression de PD-L1. L’étude KEYNOTE-826 a inclus 617 patientes avec un carcinome épidermoïde ou un adénocarcinome du col métastatique ou récidivant(3). Le score CPS était ≥ 1 dans près de 90% des cas. Cette étude a montré le bénéfice à l’adjonction du pembrolizumab à une chimiothérapie de 1ère ligne +/- l’antiangiogénique bevacizumab en termes de SSP et de SG (SG à 2 ans : 53% vs. 42%). L’AMM dans cette indication est conditionnée à un score CPS ≥ 1. En 2ème ligne chez des patientes non prétraitées par immunothérapie, le cemiplimab (un autre anti-PD1) en monothérapie a montré sa supériorité versus monochimiothérapie mais n’a pas obtenu son remboursement en France. Pour les situations localement avancées, l’étude CALLA n’avait pas retrouvé de bénéfice à l’ajout du durvalumab (un anti PD-L1) à une radiochimiothérapie alors que l’étude KEYNOTE-A18 récemment présentée a retrouvé un bénéfice en SSP à l’ajout du pembrolizumab à la radiochimiothérapie sans information détaillée à ce jour sur les éventuels biomarqueurs prédictifs(4).

 

Cancers de l’endomètre

La nouvelle classification moléculaire a identifié 4 groupes tumoraux au pronostic distinct, avec par ordre décroissant de valeur pronostique : les tumeurs ultra-mutées “POLE”, les tumeurs hypermutées “MSI”, les tumeurs faible nombre de copies “NSMP” et les tumeurs au nombre élevé de copies “muté TP53” (type séreux). Le développement de l’immunothérapie a d’abord concerné surtout les 25% de patientes avec tumeurs MSI (Microsatellites instables) pour lesquelles le rationnel biologique était fort. Après deux études encourageantes avec le pembrolizumab et avec le dostarlimab en phase avancée des cancers MSI mais n’ayant pas permis d’obtenir un remboursement en France, l’immunothérapie est enfin arrivée dans notre arsenal thérapeutique pour les cancers de l’endomètre métastatiques ou récidivants. Chez les patientes avec un cancer de l’endomètre ayant progressé pendant ou après une chimiothérapie à base de platine, la combinaison pembrolizumab lenvatinib (un inhibiteur de tyrosine kinase oral à action antiangiogénique) est disponible suite aux résultats de l’étude KEYNOTE-775(5). Cette étude a montré la supériorité de la combinaison versus une chimiothérapie en termes de SSP et de SG, quel que soit le statut MSI, avec un profil de toxicité nécessitant une bonne sélection et éducation des patientes candidates. En 1ère ligne, deux études de phase 3 ont évalué un anti-PD1 en association avec la chimiothérapie de référence par carboplatine paclitaxel : l’étude RUBY avec le dostarlimab (ayant permis l’obtention d’un accès précoce quel que soit le statut MSI) et l’étude NRG-GY018 avec le pembrolizumab(6,7). Alors que les résultats dans la population MSI étaient particulièrement spectaculaires avec 60% de patientes présentant des rémissions prolongées, les patientes avec tumeur MSS tirent également bénéfice de l’ajout de l’immunothérapie. Alors que le statut PD-L1/ score CPS a peu de valeur dans les cancers de l’endomètre, des biomarqueurs prédictifs de l’efficacité de l’immunothérapie chez les patientes avec une tumeur MSS restent encore à définir. Plusieurs études en cours avec différentes stratégies d’immunothérapie dans les cancers de l’endomètre sont à même de modifier encore nos pratiques dans les années à venir.

 

Cancer de l’ovaire

Dans les cancers ovariens, les résultats de l’immunothérapie sont plutôt décevants notamment en monothérapie. Une piste réside en l’association avec les inhibiteurs de PARP sans impact sur la pratique clinique à ce jour. Alors que le score CPS semble corrélé à la réponse à l’immunothérapie dans les cancers de l’ovaire, d’autres études seront nécessaires pour préciser son rôle exact.

En conclusion, l’oncologie mammaire et gynécologique est pleinement entrée dans l’ère de l’immunothérapie. Au-delà du score CPS requis pour la prescription du pembrolizumab pour les cancers du col et du sein avancés, la recherche de biomarqueurs prédictifs de l’efficacité de l’immunothérapie nécessitera encore d’autres études.
 

Table : immunothérapies disponibles en France en oncologie mammaire et gynécologique en 12/2023 et biomarqueurs requis pour leur prescription.

Localisation

Médicament

Indication

Biomarqueur

Sein

pembrolizumab

en association à une chimiothérapie comme traitement néoadjuvant, puis poursuivi après la chirurgie en monothérapie comme traitement adjuvant, dans le traitement des patients adultes atteints d'un cancer du sein triple négatif localement avancé ou de stade précoce à haut risque de récidive

aucun

pembrolizumab

en association à une chimiothérapie, dans le traitement des patients adultes atteints d’un cancer du sein triple négatif localement récurrent non résécable ou métastatique, dont les tumeurs expriment PD-L1 avec un CPS ≥ 10 et qui n'ont pas reçu de chimiothérapie antérieure pour la maladie

CPS ≥ 10

Endomètre

pembrolizumab

en association au lenvatinib, dans le traitement des patientes adultes atteintes d’un cancer de l’endomètre avancé ou récidivant, dont la maladie progresse pendant ou après un traitement antérieur à base de sels de platine reçu quel que soit le stade et qui ne sont pas éligibles à une chirurgie curative ou à une radiothérapie

aucun

dostarlimab

en combinaison avec une chimiothérapie à base de sels
de platine pour le traitement des patientes adultes atteintes
de cancer de l’endomètre avancé nouvellement diagnostiqué
ou récidivant et candidates à un traitement systémique (accès précoce)

aucun

Col

pembrolizumab

en association à une chimiothérapie avec ou sans bevacizumab, dans le traitement
des patientes adultes atteintes d’un cancer du col de l'utérus persistant, récidivant ou métastatique, dont les
tumeurs expriment PD-L1 avec un CPS ≥ 1.

CPS ≥ 1

 

Références :

  1. Cortes J, Rugo HS, Cescon DW, Im SA, Yusof MM, Gallardo C, et al. Pembrolizumab plus Chemotherapy in Advanced Triple-Negative Breast Cancer. N Engl J Med. 2022 Jul 21;387(3):217–26.
  2. Schmid P, Cortes J, Pusztai L, McArthur H, Kümmel S, Bergh J, et al. Pembrolizumab for Early Triple-Negative Breast Cancer. N Engl J Med. 2020 27;382(9):810–21.
  3. Colombo N, Dubot C, Lorusso D, Caceres MV, Hasegawa K, Shapira-Frommer R, et al. Pembrolizumab for Persistent, Recurrent, or Metastatic Cervical Cancer. N Engl J Med. 2021 Nov 11;385(20):1856–67.
  4. Lorusso D, Xiang Y, Hasegawa K, Scambia G, Galves MHL, Elias PR, et al. LBA38 Pembrolizumab plus chemoradiotherapy for high-risk locally advanced cervical cancer: A randomized, double-blind, phase III ENGOT-cx11/GOG-3047/KEYNOTE-A18 study. Ann Oncol. 2023 Oct 1;34:S1279–80.
  5. Makker V, Colombo N, Casado Herráez A, Santin AD, Colomba E, Miller DS, et al. Lenvatinib plus Pembrolizumab for Advanced Endometrial Cancer. N Engl J Med. 2022 Feb 3;386(5):437–48.
  6. Mirza MR, Chase DM, Slomovitz BM, dePont Christensen R, Novák Z, Black D, et al. Dostarlimab for Primary Advanced or Recurrent Endometrial Cancer. N Engl J Med. 2023 Jun 8;388(23):2145–58.
  7. Eskander RN, Sill MW, Beffa L, Moore RG, Hope JM, Musa FB, et al. Pembrolizumab plus Chemotherapy in Advanced Endometrial Cancer. N Engl J Med. 2023 Jun 8;388(23):2159–70.